samedi 8 décembre 2007

De SANMAUR au BARRAGE GOUIN - MARS 1919

Le mercredi 5 mars 1919, à 15 h 30, Jerry McCarthy, descend du «mixed train» à Sanmaur. Le petit convoi avait quitté la gare de La Tuque, à 7 h 30. Il est accueilli par Oscar Roy, le surintendant de ce dépôt de la Brown Corporation, qui l’hébergera pour la nuit.

Portrait de Jeremiah McCarthy, 1927, aimablement fourni par son petit-fils, Patrick McCarthy, et qu'a retouché Jean-Pierre Lajeunnesse, que je remercie ici.
À pied de Sanmaur à La Loutre
Voilà en substance la première entrée d’un carnet de bord que McCarthy tiendra jusqu’à son décès à La Tuque, en 1969. Ce que je possède est une transcription ultérieure, fort probablement de 1963, sur des feuilles de reliure à anneaux, de ses commentaires quasi quotidiens. Sa relation est une source précieuse de renseignements pour l’histoire du barrage Gouin et celle des Hauts-Mauriciens. On y trouve quantité de noms, de toponymes, d’anecdotes et de photos.

Jeremiah McCarthy, donc, doit se rendre à La Loutre, au nouveau barrage Gouin, où il a trouvé un emploi comme électricien. Ce sera une longue marche de trois jours, qu’il entreprend le lendemain. La dernière étape du voyage, de Chaudière à La Loutre, écrit-il, se fera sur la « old R. R. track from Chaudière ». L’expression nous laisse quelque peu perplexe : la voie ferrée est-elle déjà abandonnée, à peine deux ans après l’inauguration du barrage? Ou simplement pas dégagée durant l’hiver?
Au début de septembre 1919, de retour d'une quinzaine de jours de vacances, McCarthy remontera la Saint-Maurice en canot et dans une embarcation motorisée jusqu'à Chaudière. De là, il se rendra à La Loutre sur un wagon plat. Nous avons notre réponse : la ligne subsiste et on y circule.

Extrait tiré du journal de Jeremiah McCarthy. Aimablement fourni par Patrick McCarthy

Photo extraite du site du Musée McCord, à Montréal. Vers 1930 - Commission des eaux courantes, Québec

On distingue clairement, au pied du barrage, sur cette photo de la Commission des eaux courantes du Québec, qui date probablement de la fin des années 1920, la locomotive et les trois wagons qui ont servi, à partir du dépôt Chaudière, au transport du matériel pour la construction du gigantesque ouvrage d’emmagasinement des eaux à la source de la Saint-Maurice.

Photo aimablement fournie par Paul Tremblay, dont le grand-père, Alfred Dubé, fut maître de poste à Sanmaur. Ici, c'est sans doute l'accès à la rivière Saint-Maurice, à Chaudière.

Par ailleurs, le « journal » de McCarthy contient plusieurs photos du début des années 1930 illustrant des véhicules adaptés à la circulation sur rail : camions, fourgonnettes, draisines. Ici, à quai, au dépôt Chaudière, le J. H. Carter, arrivé à Sanmaur sur un wagon plat du Canadien National, le 23 avril 1928, et mis à l'eau grâce au court tronçon qui, à partir de la voie principale, mène à la Saint-Maurice. Le 3 novembre 2007, j'ai repéré l'endroit où se terminait le tronçon : exactement sous le pont menant à Wemotaci. On peut y voir encore des dormants et les deux derniers rails menant à l'eau.

Photo extraite des archives de BAnQ, fournie par Paul Tremblay.

Cette fourgonnette faisait régulièrement, sauf pendant une partie de l'hiver, la navette entre le quai situé en aval du rapide Chaudière (sur la photo qui montre le J. H. Carter) et l’entrepôt de la Brown Corporation, à La Loutre. Jusqu'en 1932, elle apparaît à plusieurs reprises sur des photos de l'album de Jerry McCarthy.



Sauf erreur, c'est Jerry McCarthy qui pose, à La Loutre, sur cette machine qui ferait l'orgueil du musée ferroviaire de Saint-Constant.



Photo (1928) du pont à chevalets enjambant le ruisseau Bennett où les McCarthy iront souvent pêcher et se construiront un chalet.

NOTE - Le "mixed train", c'est le "mixte" des Latuquois et des gens qui habitaient le long de la voie ferrée du Canadien National. Le train, stationné à Fitzpatrick, reculait jusqu'à La Tuque, d'où il partait ensuite vers Parent, au nord-ouest. Il s'arrêtait ici et là pour y déposer marchandises et passagers. À l'époque - et jusqu'au milieu des années 1950 -, à part l'hydravion, c'était la seule façon de se rendre directement à Rapide-Blanc, à Windigo, à Sanmaur, à Cann, à Casey, à Parent. La voie ferrée était bien entretenue en toute saison et les castors n'avaient guère le loisir d'en inonder des tronçons: les gens du Ciennâre veillaient! Mais, comme le mentionne McCarthy dans ses notes, il y aura tout de même quelques glissements de terrain qui causeront des dommages à la voie ferrée et stopperont le trafic des trains.

vendredi 7 décembre 2007

WEMOTACI - SANMAUR - MANAWAN - LA LOUTRE

Internet est vraiment un moyen de communication extraordinaire!

Voici trois courriels que m’a fait parvenir Jean-Yves Allard à la suite de l’inscription d’une photo de mes parents, Maizy Lee et Émile Cantin, posant en compagnie d’une dame, institutrice à Wemotaci, et d’une Amérindienne.
***
Bonjour M. Cantin,

En cherchant des informations sur mes ancêtres, je suis tombé sur votre site. Vous avez habité Sanmaur. Auriez-vous connu mon grand-père Henri Allard? Il a été gardien de barrage à Dam B sur la Manouane et au barrage Gouin. Il a habité Sanmaur dans les années '30, puis fin '40 et '50 avec son épouse Mariette Savard.

Merci beaucoup,

Jean-Yves Allard
Montréal

P.S.

Dans ma famille, on raconte que l'origine du nom Sanmaur est la déformation de Saint-Maurice, non pas parce que les anglophones avaient de la difficulté à le prononcer, mais simplement par leur habitude de raccourcir les noms propres. Une autre conjecture sur le nom!


Bonjour,

Merci beaucoup de m'avoir répondu! Je suis heureux que vous me donniez ces quelques bribes d'histoire de Sanmaur. J'étais bébé lorsque mon grand-père est décédé et je ne connais de ce coin de pays que le peu de souvenirs de mon père. Sur la photo de vos parents accompagnés d'une indienne, il est fait mention de l'institutrice. Je jurerais qu'il s'agit d'une des soeurs de ma grand-mère, Blanche Savard. Cette dernière a passé beaucoup de temps sur cette réserve. Est-ce bien elle?

Merci encore, et j'aimerais bien que vous me teniez au courant de vos travaux sur l'histoire du coin.

Jean-Yves


Bonjour Pierre,

Voici une photo de la tante en question (sur la gauche). Je trouve la ressemblance frappante! Cette photo date des années 40. En avant, on y voit Blanche Savard, Mariette Savard et son mari Henri Allard. En arrière, les parents Élisabeth Villeneuve et Wilfrid Savard.

Jean-Yves

J’examine la photo de Jean-Yves et je place, côte-à-côte, sur l’écran, les deux photos : aucune erreur possible. Ici, autour de mon ordinateur, tout le monde est d’accord: il s’agit bel et bien de la même personne. Cette dame est la grand-tante de Jean-Yves, Blanche Savard.

Le hasard ne s’arrête toutefois pas là : Paul Tremblay, qui, depuis quelques années m’expédie généreusement des photos inédites et diablement intéressantes pour mon projet de carnet sur Sanmaur et les environs , découvre que Jean-Yves est de sa parenté. Le monde se rapetisse. Je reparlerai de Paul : ses liens avec le petit village et autres lieux de la Haute-Mauricie sont très divers.

Les lecteurs du carnet pourront juger par eux-mêmes de l’exactitude de notre conclusion. Voici la photo envoyée par Jean-Yves. Le décor y est bien celui de la Haute-Mauricie.



NOTE – Paul me signale que le prénom du petit frère Auger, cet humble et timide oblat, habile artisan, créateur de l’imposante grotte qui affronte toujours les rigueurs du climat mauricien à Sanmaur, est Conrad. Oui, ça me revient.

mercredi 5 décembre 2007

DÉPÔT CHAUDIÈRE & FRASER BRACE

DU DÉPÔT CHAUDIÈRE À LA LOUTRE

À grand projet, grands moyens





Le projet de construction d’un barrage à la tête de la Saint-Maurice, au lieu dit La Loutre, en 1914, pouvait être qualifié, à l’époque, d’entreprise colossale, herculéenne. La seule voie d’accès au site était la rivière elle-même. Heureusement pour la Fraser Brace, chargée du projet, la nouvelle ligne de chemin de fer du Transcontinental lui fournissait un moyen d’acheminer son stock jusqu’à la réserve des Attikameks, à Wemotaci.

Un pont y avait été jeté sur la rivière, en aval de la réserve, à un endroit bientôt baptisé Weymont. La ligne, destinée à relier Québec et Winnipeg, avait jusque-là plus ou moins suivi le parcours de la Saint-Maurice. À Wemotaci, la grande voie fluviale oblique résolument vers le nord. On était encore loin de La Loutre : à plus de 130 kilomètres plus au nord. La Baie d’Hudson, qui avait un poste de traite dans la réserve, refusa à la compagnie d’y débarquer son matériel. L’opération se fit donc sur la rive gauche de la rivière, et, à en croire le missionnaire Guinard, ce sera le début de Sanmaur. La Fraser Brace érigea une digue temporaire pour faire monter le niveau de l’eau en amont et le matériel fut transporté, par barges, jusqu’au rapide Chaudière, obstacle majeur, infranchissable pour les embarcations.



Comme je ne suis pas allé consulter la moindre source primaire, je me demande si c’est la Fraser Brace qui a fondé (un bien grand terme) Chaudière ou s’il y avait déjà un campement établi par la Brown Corporation. Chose certaine, l’entreprise de construction y organisa un dépôt et commença l’installation de la ligne de chemin de fer qui allait lui permettre de poursuivre la livraison de ses matériaux jusqu’à La Loutre.

Achetée par la Brown Corporation et démantelée, la ligne a servi de route vers le barrage Gouin. De toute évidence, son démantèlement se sera fait à la fin des années 1930 ou au début de la décennie suivante. Mon oncle, Steven Lee, qui habita avec nous à Chaudière, de l’automne 1947 à la fin de l’été 1948, m’affirme qu’il n’a jamais vu ce tronçon, lui, qui a pourtant occupé plusieurs emplois dans les environs. D’ailleurs, soutiennent certains, on peut encore trouver des vestiges, rails et dormants, qui en rappellent l'existence.



Peut-être trouverai-je dans le petit journal tenu par Jerry McCarthy, qui a travaillé à La Loutre de 1919 à 1957, une date plus précise de ce démantèlement. J’en ai une copie que m’a aimablement envoyée son petit-fils Patrick. Plusieurs photos, datées, montrent des véhicules qui ont emprunté cette voie ferrée : camions et camionnettes, draisines.

Paul Tremblay m’a généreusement fourni plusieurs photos de cette voie ferrée, dont celles qui figurent ici. C’est sans doute dans l’un de ces camps que nous logerons, ma mère, mon frère et moi lors de notre bref séjour à cet endroit. Il y a lieu de penser que les bateaux chargés de stock, sur la photo, sont de ceux utilisés par la Fraser Brace.

Note - Une brève notice consacrée au bureau de poste de La Loutre par un philatéliste donne le contexte du début des travaux de la Fraser Brace. L'auteur réfère aux mémoires de Guinard, déjà cités dans ce carnet. Voir http://www.hdphilatelist.com/LoutreDam.pdf. J’y reviendrai, puisant de nouveau dans les mémoires du missionnaire oblat.

mardi 4 décembre 2007

LE DÉPÔT CHAUDIÈRE : PRISE 3

Quelques-unes de mes retrouvailles sanmauriennes se sont produites dans le cyberespace. Elles m’ont valu d’agréables surprises, d’étonnantes photos, de sympathiques témoignages.
Soudainement, je n’étais plus le seul à vouloir perpétuer la mémoire duvvillage de Sanmaur. Pluseurs de mes correspondants et correspondantes m’ont trouvé, ou je les ai moi-même découverts, sur la page des visiteurs du site des mémoires de Max Comtois (http://books.dreambook.com/gelgen/addbook.sign.html)




Preuve éminemment concrète de l’efficacité des échanges virtuels, cette magnifique photo que vient de m’envoyer Paul Tremblay, petit-fils d’Alfred Dubé, qui fut le maître de poste de mon village mythique, du premier février 1926 au 7 juillet 1955. Ce n’est pas la seule. Parmi les documents iconographiques extraordinaires qu’il m’a refilés, des photos inédites de cette voie ferrée qui partait de Chaudière pour se rendre à La Loutre (le barrage Gouin), installée par la Fraser Brace, et rachetée, semble-t-il par la Brown Corporation.

LE DÉPÔT CHAUDIÈRE : PRISE 2



Un passage dangereux

« Le rapide de la Chaudière », écrit le missionnaire Guinard dans ses mémoires, « offre un beau spectacle. À son début, l’eau de la rivière est limpide et très calme. Dans les cascades elle se brouille et la descente de l’eau se termine par une chute dans un bassin en forme de chaudron où l’eau donne réellement l’impression d’être en train de bouillir. »



Ces trois photos de la Saint-Maurice à cet endroit font partie d’une série de scènes captées par un photographe professionnel de la Brown Corporation, à l’hiver 1949. Elles illustrent bien la furie des eaux à cet endroit.


J'ai sauvé ces photos de la géhenne administrative, à l’été 1965, au moment où mon supérieur immédiat, Alexandre Martel, m'a chargé de faire de la place dans l'entrepôt servant au rangement de centaines de formulaires, dans le sous-sol du main office de l’usine de la C.I.P. de La Tuque.



J’y étais alors le stationary clerk et tout à fait inconscient de la portée du geste sacrilège que je commettais en accomplissant cette tâche.





J'ai ainsi contribué à faire disparaître des dizaines de caisses d’archives de la Brown, rapaillées depuis son établissement à La Tuque, au début du vingtième siècle. Plus de cinquante ans de l’histoire sociale, culturelle, sportive et économique de la ville se sont donc envolés en fumée! Honte à moi!

samedi 1 décembre 2007

CHAUDIÈRE DÉPÔT – LIEU DE RUSTICITÉ







Émile Cantin
, mon père, fut engagé par la Brown Corporation, le 23 mars 1947.


Il avait auparavant travaillé à l’Anglo Canadian Pulp and Paper (l’Anglo-Pulp - les deux photos), à Québec, compagnie fondée en 1927, dont l’usine sera vendue à la Reed Paper International, en 1975, et à la Daishowa, en 1988. Il y fut d’abord mesureur, puis commis de bureau.



Mon père ne parlait guère de son passé, mais je dois avouer que nous ne l’avons pas souvent interrogé à ce sujet. Un jour, pourtant, comme mon frère Robert et moi étions passionnés de hockey, il nous avait confié qu’il avait eu comme collègue de travail, à l’Anglo-Pulp, George « Punch » Imlach, qui deviendra célèbre comme entraîneur des Maple Leafs de Toronto, ennemis séculaires des Bienheureux Glorieux de la Sainte-Flanelle, le Canadien de Montréal, notre équipe favorite qui comptera dans ses rangs, au milieu des années 1950, Maurice Richard, Jacques Plante, Jean Béliveau et Doug Harvey, véritables héros dont nous conservions pieusement les icônes que nous achetions par paquet. Pour cinq sous, nous obtenions quatre cartes de joueurs et une palette de gomme baloune.



ÉMILE CANTIN (à droite) le 27 février 1946

Imlach, qui portait déjà ce surnom de "Punch", jouait pour les As de Québec, une équipe de hockey qui appartenait à l'Anglo-Pulp. Il en était l'entraîneur, en 1947, quand mon père quitta la papetière pour le dépôt Sanmaur, devenu en quelque sorte le chef-lieu de la Brown en Haute-Mauricie.

C’est donc ce nouvel emploi de mon père qui provoquera notre départ de Saint-Romuald-d'Etchemin, près de Lévis. Ma mère, mon frère Robert et moi, nous nous sommes donc «ramassés», à l’automne 1947, dans ce lieu de rusticité extrême qu’était le dépôt Chaudière, situé sur la Saint-Maurice, à 50 km environ, au nord de Sanmaur.



Nous avons donc établi temporairement nos quartiers dans ce camp en bois rond, photographié par ma mère. Nous y demeurerons pendant près d'une année jusqu'au moment de "descendre" à Sanmaur, véritable promotion sociale, pour nous installer dans notre logis ultra moderne.

Merci à Jean-Pierre Lajeunesse d'avoir habilement corrigé cette photo vieille de 60 ans, prise par Maizy Lee, ma mère.

À ma connaissance, il y avait deux autres familles à Chaudière : les Labrecque et les Delisle.