vendredi 23 novembre 2007

LES DÉPOTS CHAUDIÈRE ET SANMAUR











CHAUDIÈRE – SANMAUR – LA HAUTE-MAURICIE

Voici ce que j’avais d'abord rédigé en guise de texte liminaire à mon carnet sanmaurien et égaré dans mon capharnaüm informatisé.

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J’ai passé une partie de mon enfance au dépôt Chaudière et à Sanmaur, un petit village « de compagnie » établi, au début du siècle dernier, au confluent des rivières Saint-Maurice et Manouane, au point milliaire 71,10 de la ligne ferroviaire du Canadien National, à environ 115 kilomètres au nord-ouest de La Tuque.

À la contemplation (c’est le terme…) des nombreuses photos que ma mère, Maizy Lee, a faites de mes frères et moi à cette époque, j’aime à croire que cette période en fut une d’enchantement. En effet, je n’ai guère de souvenirs factuels de l’époque. Ainsi, je ne me souviens, mais de façon bien incomplète, que de la géographie immédiate des lieux où ma famille habitait. Très peu d’anecdotes, d’événements se sont logés dans ma mémoire.

De ce Sanmaur jadis très animé, où je suis retourné, le 21 mai 2006, il ne reste que très peu de vestiges. Le plus visible demeure le presbytère, devenu imposant malgré lui dans ce décor à peu près dénudé, aux grandes étendues de gravier, de sable. Au moment de mon passage, il s’annonçait comme un dépanneur. On pouvait y manger, y dormir. La plupart des cloisons du rez-de-chaussée avaient été abattues. Détail intéressant, il y avait, accrochée à l’un des murs, trois photos, sous plastique, du Sanmaur du milieu des années 1940. À une centaine de mètres, en direction de la Manouane, autre rappel de la présence de l’Église, l’imposante grotte, érigée en 1950, pendant l’année mariale décrétée par Rome, semble indestructible. Il n’y manque que la statue installée par le curé Léopold Lacasse. Entre la grotte et l’ancien presbytère, un bungalow a été juché sur la fondation de l’ancienne école.

Plus loin, une fois descendu la minuscule pente menant au « secteur » Manouane, on aperçoit, de l’autre côté de la voie du Canadien National, intact, le bâtiment qui servait de quartiers aux employés de la St. Maurice Forest Protective Association. Revampée, la construction est devenue une auberge. Justement, son jeune proprio déjeunait au dépanneur quand mes frères et moi y sommes passés.

On parcourant le secteur occupé naguère par la Brown, on découvre, ici et là, les traces de quelques-unes des anciennes installations de la « compagnie » : assises de béton de différents bâtiments utilisés comme écurie, garage, entrepôts, structure en métal des réservoirs d’essence. Des résidences confortables logeant les familles des employés de bureau, on ne trouve que deux fondations les restes de deux duplex habités à l’époque, il me semble bien, et si mon souvenir est bon, par les familles Bouchard, Ricard et Ross. S'y entassent toutes sortes de débris laissé là après la démolition. Le panneau d'une pompe à essence, des barils rouillés et autres objets rappellent l’emplacement, à l’est, des réservoirs d’essence et de mazout. Un bref tronçon de la voie de garage, jadis parallèle au long entrepôt recouvert de tôle où travaillait mon père et qu’on appelait alors le « store », repose toujours sur ce sol de gravier et de sable. Au pied du nouveau pont à une voie qui mène à Wemotaci, réserve modernisée et blanchie, des bouts de rails où on sortait les bateaux de l’eau et toutes sortes de morceau de métal rouillé.
Surprise, j’ai retrouvé, intactes, bien conservées et solidement ancrées dans le béton, les deux solides tiges de fer qui servaient à suspendre le filet du jeu de tennis. Le treuil pour tendre le fil de cuivre supportant le filet, à peine rouillé, était toujours fixé à l’une d’elles. J’ai détaché ce fil, l’ai rapporté en guise d’artéfact, un objet qui n’aurait pas trouvé sa niche dans un musée ! Mon frère Jean a photographié l’opération.

J’ai rapidement repéré le petit ruisseau, qui constituait en quelque sorte la frontière ouest de l’univers strictement brownien, la zone habitée par les « gens » de la Brown. Nous passions sur ce ruisseau quatre fois par jour pour nous rendre à l’école, à l’église, pour aller assister à la projection d’un film et …au restaurant de Gaston Pothier. Nous nous y arrêtions souvent, mon frère Robert et moi pour y jouer. Son cours n’avait pas changé. Les aulnes y sont plus serrés, bien sûr, plus visibles, me semble-t-il.

Mon blogue se veut une commémoration, bien partielle, je le regrette, de cette époque. J’ai déjà rapaillé plusieurs photos des lieux et des gens qui ont animé ce village quasi mythique. J’ai l’intention de rencontrer d’anciens résidants pour en arriver à remplir les trous de ma mémoire et faire en sorte que l’on retienne quelques éléments historiques de ce microcosme qui m’apparaît, à un demi-siècle de distance comme une espèce de paradis perdu. Mais je me trompe peut-être : l’enfance est-elle vraiment ce paradis qu’on se plaît à imaginer ?

PHOTOS – Deux vues du presbytère, prises le 21 mai 2006, par mon frère Jean et moi, et une de la grotte. Je pose dans l'espace où était célébrée la messe, je crois bien. Pour remplacer la Marie-Immaculée originelle de Léopold Lacasse, il m'aurait fallu grimper dans la niche.


Note – Les archivistes de la Brown Corporation utilisaient l’expression Sanmaur Depot pour désigner l’endroit. Ce dernier terme n’a pas tout à fait ce sens en français, ou du moins il est plus réducteur. Avant de parler de Sanmaur, il me faudra m'attarder à Chaudière, quelque 50 kilomètres en amont, sur la rive de la Saint-Maurice. Ma mère disait toujours "monter au Chaudière" ! Ce "masculin" était aussi appliqué à la rivière : "Le Saint-Maurice", entendait-on. C'est encore le cas bien souvent en Mauricie, sans doute parce ce cours d'eau a la majesté d'un fleuve...