vendredi 30 novembre 2007

SANMAUR et WEMOTACI en 1913

Ma mère, Maizy Lee, à Wemotaci, au printemps 1953. D'habitude sauvage, ma mère, qui se mêlait rarement aux autres résidants de Sanmaur, aimait rencontrer les Amérindiens, qu'elle appelait
Ma mère, Maizy Lee Cantin (1917-2005), à Wemotaci, printemps 1953.
Photo : Léopold Lacasse.

D'habitude sauvage, très peu portée à rechercher la compagnie d'autres gens que ses proches immédiats, Maizy ne fréquentait que deux ou trois femmes de Sanmaur : madame Albert Lesage, Mariette Bertrand-Beaupré et l'épouse de Gaston Pothier, le restaurateur de l'endroit. Chose surprenant, elle avait de l'empathie pour les Amérindiens, qu'elle appelait "kawiches", sans véritablement connaître la connotation péjorative du terme.

WEMOTACI, 1953. Ma mère, Maizy Lee, et mon père, Émile Cantin. Nous sommes souvent allés  de l'autre côté de la rivière, face à Sanmaur, à la réserve. Curieusement, ma mère parlait de Manouane. À la gauche de ma mère, l'institutrice de la réserve. Photo de Léopold Lacasse.
WEMOTACI, 1953. Ma mère, Maizy Lee, et mon père, Émile Cantin.
Photo: Léopold Lacasse



Nous sommes souvent allés de l'autre côté de la rivière, face à Sanmaur, à la réserve. Curieusement, ma mère parlait de Manouane. À la gauche de ma mère, Blanche Savard, l'institutrice de la réserve.

Cette photo de Corbeil et de Guinard m'a été fournie par Micheline Raîche Roy. A-t-elle été prise à la réserve Manawan (Manouane) ou à Wemotaci ? Elle doit dater de 1920.
Cette photo d'Eugène Corbeil et de Joseph-Étienne Guinard m'a été aimablement prêtée par une amie de Saint-Élie-de-Caxton, originaire de La Tuque, Micheline Raîche Roy. A-t-elle été prise à la réserve Manawan (Manouane) ou à Wemotaci ? Elle doit dater de 1920 environ.
[En examinant d'autres photos de ce temple, il y a lieu de croire que c'est plutôt la chapelle d'Obidjuan. (PC - 12 avril 2008)]

Quelques excursionnistes, devant le presbytère de La Tuque. Photo tirée du livre de Joyal. On est loin du compte des 85 voyageurs, tel que précisé dans le texte.
Quelques excursionnistes, devant le presbytère de La Tuque. Photo tirée du livre de Joyal. On est loin du compte des 85 voyageurs ecclésiastiques, tel que précisé dans le texte.

Page de couverture des mémoires de Guinard, édition de Serge Bouchard. Latulippe, Corbeil et sans doute Joyal.
Illustration partielle de la page de couverture des mémoires de Guinard, édition de Serge Bouchard (1980). Guinard et Corbeil, bons larrons, à la droite de l'évêque Latulippe.

Énigmatique photo : quelles sont les raisons qui motivent cette "exclusivité" de poser seuls avec le patron? Où sont les autres ecclésiastiques qui accompagnaient le pourpre ceinturon dans son périple haut-mauricien, en 1913?


Portrait de Corbeil, vers 1913, extrait de l'opuscule de Joyal.
Portrait d'Eugène Corbeil, curé de La Tuque, vers 1913,
extrait de l'opuscule de Joyal.


Visite du prélat Latulippe à Wemotaci, en juillet 1913.
Visite du prélat Latulippe à Wemotaci, en juillet 1913.



Jugement de l'oblat Guéguen, tiré de l'ouvrage de Joyal.
Jugement de l'oblat français Jean-Pierre Guéguen sur le Tête-de-Boule, ou " Quand le missionnaire se fait anthopologue et sombre dans la turpitude!". Tiré de l'ouvrage de Joyal.



Plus de la moitié de l'essai de Joyal se compose d'une étude sur les Attikameks. Un simple prêtre, diplômé en théologie,  qui se prenait pour un ethnologue, un anthropologue, voire un psychologue.
Plus de la moitié de l'essai de Joyal se compose d'une étude sur les Attikameks. Simple prêtre, petit bachelier "diplômé" en théologie, l'essayiste est le prototype même de ces curés qui savaient tout, avaient réponse à tout et pensaient pour le bon peuple. Facile, à l'époque de jouer à l'ethnologue, à l'anthropologue, voire au psychologue patenté.

Wemotaci, juillet 1913. Les excursionnistes sur la Saint-Maurice.
Wemotaci, juillet 1913. Les excursionnistes sur la Saint-Maurice,
à la hauteur de ce qui deviendra Sanmaur.

Y apercevez-vous vraiment 85 ecclésiastiques ou y distingueriez-vous plutôt de nombreux Têtes-de-Boule déguisés en clergymen?

Page de titre de l'ouvrage de Joyal. 1915
Page de titre de l'ouvrage de Joyal. 1915

WEMOTACI - La chapelle, sans doute vers 1925.

Vue de la réserve amérindienne de Wemotaci, juillet 1913, lors de la visite de Latulippe.
Vue de la réserve amérindienne de Wemotaci, juillet 1913, lors de la visite d'Élie Latulippe, vicaire apostolique du Témiscamingue.


Étienne Guinard, missionnaire oblat, vers 1890.
Étienne Guinard, missionnaire oblat, vers 1890.


Les «sources primaires», voilà ce sur quoi devrait reposer toute recherche historique sérieuse, nous répétait Jacques Lacoursière, cet extraordinaire vulgarisateur, un des profs de ma seconde classe de Rhétorique, au Séminaire Saint-Joseph, à Trois-Rivières, mon Alma Mater, mieux connu sous le sigle «STR», en 1962-1963. L’année précédente, à ma première Rhétorique, que j’avais échouée par quelques points, j’avais eu comme prof d’histoire Louis Martel, qui deviendra le préfet des études, qui nous lisait son manuel, plutôt drabe**, publié avec son frère en religion, Hermann Plante, qui, lui, nous enseignait l’éloquence. «Redoubler» mon année, comme on disait à l’époque, aura eu ses avantages : les cours de Lacoursière. Mieux, celui-ci nous amenait aux archives du Séminaire, question d’y faire des recherches destinées à la rédaction d’un journal innovateur, Boréal Express, qu’il lança, si je me souviens bien, avec Denis Vaugeois, autre historien trifluvien de haut calibre.

Lesdites archives recelaient un précieux manuscrit, fort utile pour connaître les débuts des activités des Blancs à Sanmaur : celui des mémoires du missionnaire Étienne Guinard, édités et publiés, quelque quinze ans plus tard, par un autre magnifique vulgarisateur et communicateur, l’anthropologue Serge Bouchard, sous le titre Mémoires d’un simple missionnaire, le père Joseph-Étienne Guinard, o.m.i. (Québec, Ministère des Affaires culturelles, collection «Civilisation du Québec», 1980).

Sur la page de couverture, une belle photo de groupe, prise à Wemotaci, en 1913, à l’occasion de la visite épiscopale, chez les Têtes-de-Boule, d’Élie-Anicet Latulippe (1859-1922), le vicaire apostolique du Témiscamingue, qui sera le premier évêque de Haileybury. Ce territoire d’évangélisation était sous sa juridiction.

Bien sûr, la photo montre Latulippe, entourés d’Amérindiens de la réserve, mais le personnage lié à la rédaction de mon carnet qui y figure, c’est le gargantuesque curé fondateur de La Tuque, Eugène Corbeil, posant à la droite du prélat. C’est lui l’instigateur de ce qui aura été le premier voyage organisé dans ce coin du pays québécois! L’agent de voyage improvisé, aidé de son confrère de Saint-Thècle, Maxime Masson, a réussi à amener à Wemotaci près d’une cinquantaine de ses collègues pour accompagner Latulippe. À sa droite, un autre membre du clergé, également digne d’intérêt : un oblat, peut-être Arthur Joyal (1883-1962), qui rapportera de cette expédition la matière d’un petit livre, Excursion sacerdotale chez les Têtes-de-Boule. Je ne saurais en être sûr : il faudrait comparer son faciès à celui qui est sur la photo de groupe, prise à La Tuque; il se trouve, de nouveau, à la droite de Corbeil. À la gauche de ce dernier, son frère Sylvio, principal de l'École normale de Hull.

C’est une amie, Micheline Raîche Roy, originaire de La Tuque, arrivée en ce bas monde par les bons soins de Max Comtois, un médecin en voie de devenir célèbre par ses mémoires mis en ligne, il y a quelques années. La page des visiteurs de ce très beau site s’avère une excellente courroie de transmission d’adresses de courriels d’anciens résidants des pays d’en-haut (http://drcomtois.situs.qc.ca/intro.html), qui m’a fait cadeau de l’opuscule de Joyal.

C'est d'ailleurs grâce à cette page de commentaires que Micheline et moi avons fait connaissance. L’enchevêtrement des événements ne s’arrête pas là. Autre lien avec mon propos : Micheline a en sa possession une collection de cartes postales et d’écrits de Corbeil, reçue de sa tante, Éliane Bergeron, qui fut la secrétaire du curé fondateur de La Tuque. Documentation importante pour connaître notre agent de voyage, personnage capital de la vie sociale et politique de la reine de la Haute-Mauricie, titre quelque peu contestable, car la ville est située … en Moyenne-Mauricie. Sans doute ne faudrait-il parler de Haute-Mauricie qu'à partir de Rapide-Blanc!

Long préambule pour en arriver à ce bref passage de Joyal, lequel fait le pont avec mes pages précédentes sur l’origine du toponyme de Sanmaur: «Vers midi, écrit-il, nous descendons à la gare Manawan où nous attend toute une équipe de sauvages…» Remarquez l'absence de préposition. Où était situé ce bâtiment? Sur la rive droite de la Saint-Maurice? Sur la gauche? La voie ferrée du Transcontinental vient à peine d'arriver en ces lieux. Y avait-il déjà une gare à Weymont, sur la rive droite ?

Au bas de la page 9 de son petit livre, Joyal a placé cette note: " Manawan signifie 'rivière aux oeufs'; Kikendatch, 'anse au gros Cyprès', et Wémontashing, 'lieu d'où l'on voit beau et loin'. Ce dernier nom a subi toute une série de modifications dont la moins heureuse est Weymont!". J'ai respecté la graphie et la ponctuation de l'auteur. On parle encore aujourd'hui du pont ferroviaire de Weymont, seul lien, jusqu'à 1995, entre les deux rives, à la hauteur de Wemotaci, emprunté par les piétons et les motoneiges. J'y reviendrai.

Ainsi donc le nom de SANMAUR n’existe pas encore en 1913. Me faudra-t-il donc me rendre à l’évidence? Tout simplement accepter, faute de temps pour remonter à des sources primaires pour me renseigner davantage, l’explication fournie par «TOPOS SUR LE WEB – Noms et lieux du Québec» : le toponyme pourrait bien être, en effet, la contraction de «Saint-Maurice»! J’aimerais bien mettre la patte sur les archives de la Fraser-Brace dont les grands travaux de construction sont répartis un peu partout au Québec et en Ontario.


Notes – Luc Gauvreau, l’architecte et maître d’oeuvre d’un splendide site consacré à l’écrivain mauricien Jacques Ferron (1921-1985), http://www.ecrivain.net/ferron/, m’a montré comment greffer des légendes à mes illustrations. Voilà qui me permettra d’allonger mon propos, comme si ce n’était pas déjà fait! Sans compter que trois anciens Sanmauriens m’ont fait parvenir un grand nombre de photos, de quoi alimenter mon carnet pour les mois à venir. Faites glisser le curseur sur la photo pour en lire la légende.
Le lien avec Ferron? C’est de la Brown Corporation que notre écrivain national achètera sa première maison, en 1946, à Rivière-Madeleine, où il pratiquait la médecine. La compagnie y avait fait construire une centrale hydro-électrique sur la Madeleine. C’est ainsi que le village sera le premier, en Gaspésie, à accéder à cette commodité citadine. La Brown avait également aménagé une voie ferrée qui servait au transport du bois de pulpe au fleuve. Elle partait de la chute dite du « Grand Saut », sur la rivière. Il en reste des vestiges.

Parus d’abord dans les Annales du Très-Saint-Rosaire, de mars 1914 à janvier 1915, les propos de Joyal deviennent un livre en 1915. Il était le directeur de ce périodique. Son ouvrage contient une mine de renseignements sur l’histoire de Wemotaci et des Amérindiens de la région.

Devenu quasi introuvable, on peut cependant consulter l’ouvrage de Bouchard en ligne à cette adresse : http://www.ourroots.ca/. Beaucoup d’autres ouvrages, bien indexés, s'y trouvent. Ils fournissent des renseignements parfois inédits sur Sanmaur et la Haute-Mauricie. Coïncidence : c’est à la suggestion d’Hermann Plante que l’anthropologue entreprendra l’édition des mémoires de Guinard. Plante est l’auteur, entre autres ouvrages, d’une étude fort bien documentée : Saint-Justin, foyer de sérénité rurale, accessible sur ce le même site.

Sur les belles réalisations du Shawiniganais Lacoursière, enfin récompensé, voir cette page Internet : http://www.prixduquebec.gouv.qc.ca/recherche/desclaureat.asp?noLaureat=358.

** Je suis bien sévère à son endroit. Comme la plupart de mes autres profs au STR, c'était un être cultivé, intéressant. La tactique de l’abbé historien était bien légitime : je ferai de même, une vingtaine d'années plus tard, avec mes cégépiens et mes cégépiennes. Ils durent acheter les œuvres de Jacques Ferron dont j’avais dirigé l’édition : L’amélanchier, Le Saint-Élias, La conférence inachevée, entre autres ouvrages publiés par Jacques Lanctôt! Bref, prêcher pour sa propre paroisse, favoriser l’augmentation du produit intérieur brut!