jeudi 31 janvier 2008

LA VOIE FERRÉE de CHAUDIÈRE à LA LOUTRE

De Sanmaur à La Loutre en passant par Chaudière

Les misères de l’hiver sur rail en Haute-Mauricie


Les sources primaires demeurent des outils essentiels pour produire des documents de qualité sur une époque, un lieu.
Jusqu’ici, j’ai puisé la matière première de plusieurs de mes propos dans les mémoires du missionnaire Étienne Guinard et les éphémérides colligées par Jeremiah McCarthy. Cette dernière source s’est avérée d’une grande richesse pour situer avec plus de certitude certains événements de l’histoire de la Haute-Mauricie. Mais encore me faut-il être prudent et utiliser correctement les renseignements que j’y puise.
Ainsi, est-il fort heureux que John McCarthy m’ait signalé que la seule photo de locomotive à vapeur débusquée dans l’album de photos de sa famille avait été prise à Donnacona. Je m’apprêtais béatement à la présenter comme le monstre d’acier qui avait été l’instrument de traction des wagons sur lesquels on avait chargé les matériaux nécessaires à la construction du barrage Gouin.

Lorrain McCarthy, le frère aîné de John, en compagnie de sa cousine Lorna, à Donnacona, en 1948.


De plus, comme la photo avait été prise en hiver, j’aurais dû me douter que le décor n’était pas celui du pays de mon enfance. Il y a d’abord la hauteur du feuillu, à droite, dont la stature est bien loin d’être représentative des bouleaux et des trembles des Hauts mauriciens. Du moins, je ne me souviens pas d’en avoir vu à Sanmaur au début des années 1950. Pas plus d’ailleurs qu’en novembre dernier quand j’y suis retourné.

On ne recevait guère de visite de proches pendant cette saison parfois terrible: il ne fallait pas être pressé pour passer de la gare du Canadien National, à Sanmaur, à la résidence des McCarthy–Giard, à La Loutre, au pied du barrage Gouin. Accumulations de neige, températures extrêmes – McCarthy note que la température est de moins 50, certains jours - rendent toute circulation impossible. Lui-même a dû parcourir, en raquettes, le trajet de la gare au dépôt Chaudière, et dans le sens inverse, à quelques reprises. Le courrier était parfois livré en traîneau à chiens.

Transcription d’un extrait du carnet de Jeremiah McCarthy, juin 1921.

La locomotive à vapeur utilisée sur la voie ferrée installée entre le rapide Chaudière, sur la Saint-Maurice, et celui de La Loutre, source de cette rivière, en 1915 ou 1916, par la compagnie Fraser Brace, n’y aura été utile qu’à peine un peu plus de cinq ou six ans. Sans compter que la voie elle-même n’était guère praticable l’hiver, neige et glace empêchant la circulation de tout véhicule. Une note de Jerry McCarthy précise que le 11 juin 1922 le gros engin de métal est retiré du service : il est devenu trop lourd pour les dormants endommagés par la pourriture. Dorénavant, ce chemin de fer d’un peu plus d’une trentaine de kilomètres (20 miles) ne sera plus emprunté que par des camions munis de roues d’acier. Encore là, la neige sera source de problèmes pour ce type de véhicules. McCarthy mentionne quelquefois l’usage de tracteurs tirant des voitures sur la voie. Des engins extrêmement lents.


Une draisine devant la « power house », la centrale électrique, à La Loutre, en 1929.


En avril 1919, la locomotive avait heurté un bloc de glace, à 2,5 kilomètres au sud du lieu dit « Castor Blanc », et s’était renversée. De plus, ce même printemps, les wagons avaient déraillé à quelques reprises. Plusieurs affaissements de terrain s’étaient occasionnellement produits, qui avaient alors endommagé le tablier de la voie.

À l’avant de cette draisine, souriante, Azilda Giard, qui épousera Jerry McCarthy. Derrière elle, Charles LeTemplier, Mariette Giard et Arthur St-Hilaire. La Loutre, 1930.



Phil Beaudoin, sa femme Paulette Giard, Gordon Ahier et Azilda Giard, La Loutre, 1933.



En examinant les photos d’archives de la famille McCarthy, il semble que la flotte de véhicules sur rail ait été composée d’un gros camion, le « big truck », et de quelques camionnettes, auxquels on arrimait de petits wagons plats. Il y avait également des draisines, employées pour le travail et les loisirs.


La Loutre, 24 juin 1931 : Phil Beaudoin et Paulette Giard (à droite) entreprennent leur voyage de noces à bord d’une camionnette sur rail. Premier arrêt : Chaudière, terminus de la ligne. Ils s’étaient mariés la veille.



En septembre 1922, Ernest Germain, un patenteux, avait procèdé à l’essai d’un moteur d’avion sur un « lorry », terme britannique pour désigner un camion, adapté pour la circulation sur rails.


Le garçon qui pose sur ce cliché est Lorrain McCarthy, le fils aîné de Jérémiah McCarthy et d’Azilda Giard, dont le mariage fut célébré à La Loutre, le 26 juin 1935. La Loutre, janvier 1939.


N’empêche que cette voie ferrée, aussi mal en point fût-elle – en 1924, on procède à la réfection des ponts à chevalets de bois, les trestles –, demeurera longtemps le seul lien unissant La Loutre et le dépôt Chaudière et sera fréquemment utilisées, entre autres par des. des draisines, que j’ai toujours connues sous l’appellation de «speeders», appelées aussi «motor car», jusqu’à la fin des années 1930.

La fin d'une époque : disparition de la voie ferrée

Le 9 novembre 1938, McCarthy signale l’existence d’une nouvelle route terrestre permettant d’aller de Chaudière à la Loutre en passant par le Petit Rocher, lieu situé à l’intérieur des terres. C’est probablement à partir de ce moment qu’on entreprend d’enlever les rails de ce tronçon car, le 11 mars 1942, il ajoute que la totalité des rails se trouvent maintenant à Sanmaur. Une fois transportés là, on a dû les envoyer ensuite « en ville », dans le cadre de l’effort de guerre pancanadien. Voilà qui explique que mon oncle Steven, qui a bonne mémoire, ne se souvient pas de l’existence de cette voie à Chaudière où il a passé près d’une année.

Le 9 décembre 1938, une première dans les liaisons Sanmaur et La Loutre : un autocar emprunte en grande partie le trajet de l’ancienne voie ferrée. C’est le début d’un nouveau service.

Serait-ce l’un des premiers autocars de la Brown Corporation? Jean-Pierre Lajeunesse, un passionné de l’histoire du transport par autocars et autobus, m’a gentiment refilé ce superbe cliché capté le 5 octobre 1946.

McCarthy note dans ses carnets, le 15 juin 1948, qu’on a déplacé la vieille locomotive utilisée sur le site du barrage vers la « crusher road ». Il a pris soin d’en enlever la plaque d’identification, qu’il a conservée à son chalet. John McCarthy m’a confié qu’elle se trouvait maintenant chez son frère Lorrain.

Une autre entrée, le 20 octobre 1949, précise que la vénérable locomotive a pris le chemin de la ferraille. Encore là, il ajoute qu’il en a retiré les plaques d’immatriculation. Serait-ce la même locomotive ? Comme McCarthy a transcrit le contenu de ses carnets à plusieurs années de distance, plus que probablement en 1963, peut-être répète-t-il simplement l’anecdote… Il écrit, en tout cas, que les plaques se trouvaient encore à ce chalet du lac Bennett en 1968. Dans une conversation téléphonique, John McCarthy m’a déclaré qu’il y avait eu plusieurs locomotives à La Loutre.

Jusqu'à la fin des années 1930, les déplacements entre Chaudière et Sanmaur se feront en bateau, sauf quand la Saint-Maurice est gelée ou en voie de l'être. On retourne alors aux vieux moyens de locomotion : les traineaux à chiens et les voitures tirées par des chevaux. Parfois, on utilise les services d’un tracteur. Il n’est jamais fait mention de l’usage de bateau en amont du rapide Chaudière. C’est le tracé de la voie ferrée qui est utilisé par les chiens, les chevaux, les tracteurs et les bipèdes qui doivent chausser les raquettes. Il existe aussi des autoneiges, mais c’est avant l’ère des gros véhicules construits par Bombardier. Le carnet de McCarthy ne contient aucune illustration de ce type de véhicule.

Ceux et celles qu'intéresse l'histoire de la Mauricie trouveront dans un important essai lancé à Shawinigan, en novembre dernier, La navigation sur la rivière Saint-Maurice et ses affluents entre 1856 [et] 1996, des documents iconographiques nombreux et intéressants. L'ouvrage n'est toutefois pas sans défauts. Par exemple, il aurait mérité une bonne séance de révision sur le plan de la langue et le regard attentif d'un lecteur externe qui aurait permis de signaler aux auteurs certaines répétitions et quelques rares erreurs. Certaines illustrations, très imparfaites, auraient pu être "travaillées" avant leur insertion dans le livre. La publication donne tout de même une excellente idée de l'utilisation que l'industrie a pu faire de ce majestueux plan d'eau.
Oeuvre de Guy Arcand, Réjean Boisvert et Arnold Fay, le livre est abondamment illustré.


Notes

- SAuf indication contraire, les photos incluses ici m'ont été aimablement fournies par Patrick McCarthy, que je remercie de nouveau pour sa générosité. C'est son oncle John, qui a passé sa vie active à La Tuque et sur les "limites" - comme on disait autrefois - qui conserve la transcription originale des carnets de Jerry McCarthy.

– Marc Giard*, un passionné d’histoire ferroviaire, à qui j’ai soumis la photo de la locomotive illustrée plus haut, question de l’identifier, me répondait ceci : « Pour ce qui est de la locomotive, c'est manifestement une petite locomotive-tender industrielle et non une machine de ligne. Il reste à savoir si la locomotive utilisée sur la ligne en question portait le numéro 17. (Par ailleurs, était-ce bien la Brown qui exploitait cette ligne?) J'ai cherché les locomotives portant le numéro 17 dans la liste de locomotives industrielles du Québec dressée par Colin Churcher (sur le site Web dont vous m'aviez parlé). Tout ce que j'ai trouvé, c'est que le Chemin de fer d'Asbestos et de Danville a utilisé ce numéro à deux reprises pour désigner une locomotive de manœuvre à vapeur. Il y a d'autres locomotives numéro 17 dans la liste, mais le modèle indiqué ne correspond du tout au type de locomotive qui figure sur la photo. »

*Je n'avais pas noté la coïncidence : Marc, avec qui j'avais correspondu avant même de recevoir le CD des archives McCarthy, serait-il apparenté, de près ou de loin, aux Giard de La Loutre ?

APARTÉ


Phil Beaudoin, beau-frère de Jerry McCarthy, appuyé sur un des wagons plats que tiraient camions et tracteurs sur cette voie ferrée disparue. La Loutre, 1932.


Jeremiah McCarthy, à droite, devant la pompe à essence installée tout juste à côté de la voie ferrée, à La Loutre. Faut-il s'en étonner? Non, car tous les véhicules qui emprunteront ces rails, dès le début des années 1920, seront des camions et des tracteurs. À l'ère de l'essence, la vapeur s'envole...


Une bête de somme, qui remplit quelques tâches jadis dévoluées à la locomotive à vapeur : monture lente, mais puissante et efficace. Devant l'entrepôt de la Brown Corporation, La Loutre.

dimanche 20 janvier 2008

DES CANOQUES EN HAUTE-MAURICIE


Propos d’inspiration culinaire d’un petit dimanche matin




Donc, le patron de Jeremiah McCarthy, à La Loutre, s’appelait John H. Carter, un Américain originaire du Maine, qui, en mai 1919, avait remplacé le précédent gérant, S.L. DeCarteret.

Il me faudra vérifier auprès de John, le fils cadet de McCarthy, avec qui j’ai eu une agréable conversation sur ses années passées en Haute-Mauricie, et à qui je me propose de causer plus longuement, quelles étaient les fonctions exactes de Carter au dépôt de la Brown Corporation du barrage Gouin. J’imagine qu’il y avait le titre de surintendant et qu’il devait être bigrement important pour que, de son vivant, un bateau portât son nom. C’est celui qui fut livré par rail à Sanmaur le 26 avril 1928.



La poupe de cette carcasse fluviale, déposée à Sanmaur, qu’on peut distinguer sur cette photo de Juanita Lee, la plus jeune des sœurs de ma mère, serait-elle celle du J.H. Carter ? La scène, quasi champêtre, a sans doute été croquée vers 1949.



Mais avant de revenir à La Loutre, lectrice, lecteur, prenez le temps, malgré le caractère forestier de la langue, de zieuter cet éclairant article, tiré de l’ouvrage lexicologique de Hugh Rawson, Wicked Words, sur un mot que nous avons entendu assez souvent.



Lisez maintenant trois répliques, extraites de la page 414 de la relation de voyage en Laurentie de cet Américain cultivé, à l’esprit ouvert, qu’était L. Morris Longstreth.
Un mot s’en détachera : Canucks…



Messieurs, pas de bavardage à table !


Cet interdiction m’amène à penser que Carter pourrait bien incarner le prototype d’un chargé de mission, "honorable" membre d’une classe supérieure, leader voué à l'encadrement d'êtres inférieurs, ici, en l’occurrence, des bûcherons, par surcroît des Canadiens français, à qui il attribue, indistinctement, le défaut d’être de foutus bavards (garrulous : j’ai dû me précipiter dans mon Collins-Robert** pour en connaître le sens exact), comme si, parmi eux, ne pouvaient se terrer quelques irréductibles taciturnes… Si le qualificatif n'est pas utilisé ici de façon tout à fait méprisante, il demeure tout de même condescendant.

Au sujet du commentaire spontané d’Alice, «Mais ce ne sont pas des femmes!», Simone de Beauvoir n’aurait sûrement pas manqué de souligner qu’il illustrait, de façon tangible, l’aliénation des femmes, qu'il constituait un exemple de l’acceptation de leur supposée condition inférieure. En associant «bavardage» à un discours féminin, c’est en effet dire son insignifiance. Carter percevait, dans de possibles échanges des bûcherons, des «propos de bonnes femmes», activité qui aurait risqué de retarder le retour de ces êtres à la «production» de pitounes. Un bon travailleur ne cause pas : il peine à gagner son sel pour assurer le profit de quelqu’un d’autre. Le sel, d’ailleurs, n’est pas gratuit à la cookerie. La loi de la «compagnie»!***

Diantre et juste ciel!, nous ne sommes pas encore montés à bord de cette galère qui devrait descendre la Saint-Maurice pour nous mener jusqu’à Sanmaur! Peut-être même jusqu’à La Tuque, en passant par Windigo, où séjournèrent pendant quelque temps des Sanmauriens notoires (au sens mélioratif du terme, entendons-nous bien…) qui trouveront place dans de prochains carnets.


** Et la jaquette de mon dictionnaire indique bien l’amerloquitude grammaticale de l’édition bilingue : on y a majusculé à tour de lettres le sous-titre, influence maladive de l’anglais sur le français! Comme notre "francophile" Société Radio-Canada, qui, dans ses émissions supposément consacrées à la chanson francophone, trouve le moyen de glisser des « standards » de la chanson américaine, version « jazz », cela fait plus culturel… Z’avez entendu souvent Vigneault, Desjardins, Ferré, Forestier, Leyrac à la Cibici, dans le cadre normal d’émissions régulières? Moi, pas ! Sauf certains samedis soirs, quand on fait de la chanson québécoise un objet de curiosité, comme la musique créole ou louisianaise ou tombouctienne...

*** « Anglais, Français, Allemands et Portugais », écrit Louis Hamelin, dans sa chronique ‘Littérature’ (Le Devoir, 19 et 20 janvier 2008, p. F4), « ont dépecé l’Afrique avec les meilleures intentions du monde. La supériorité de la civilisation blanche allait de soi, donc l’imposer à l’indigène était une forme subtile d’altruisme dont cette bienveillante domination se dédommagera en pillant les richesses locales. »

Ches les Amérindiens, l'oblat a précédé le papetier, mais suivait le traiteur de poils... Eh ! carnetier, tout n'est pas noir et blanc... Nuance ton propos; lâche du lest; desserre les dents!

NOTES
J’ai commis une petite annotation sur canoque, la francisation est de l’Admirable Docteur Jacques Ferron (majuscules volontairement respectueuses). On peut l’aller lire sur le somptueux site que consacre Luc Gauvreau à l’écrivain national: http://www.ecrivain.net/ferron/. La note sur canoque est greffée au premier épisode d’un feuilleton politico-sociologique de Ferron, « Le Salut de l’Irlande », paru d’abord en 1966 et en 1967, feuilleton que Luc et moi sommes à « éditer » sur la toile.

À propos de ce canoque, Ferron a écrit quelque part – il faudra que Luc, ce missionnaire littéraire (il a parcouru autant de kilomètres dans l’oeuvre du fondateur du Parti Rhinocéros que l’oblat Joseph-Étienne Guinard dans les forêts boréales du Québec) – m’en donne la référence exacte : « Le mot canuck, précise Ferron, témoigne de la proximité de la mer. Il ne s'en est pas éloigné pour remonter vers le Nord et ce fut sans doute au Nouveau-Brunswick qu'il est devenu frog, tout aussi amphibie, mais nettement plus injurieux. »

L’ouvrage de Rawson porte un sous-titre on ne peut plus dix-septième siècle : A treasury of curses, insults, put-downs and other formerly unprintable terms from Anglo-Saxon times to the present (New York, Crown Publishers, Inc., 1989, 435 pages). Une lecture enrichissante, même pour un francophone!

Un emprunt récent du terme, quelques lignes de la belle chanson-hommage de Richard Séguin sur Jack (Ti-Jean) Kerouac :
« Dans ta mémoire,
Y'a des tiroirs
D'amours brisées,
D'canucks fuckés. »

samedi 12 janvier 2008

Un Américain à Sanmaur et à La Loutre en 1921



Ah, l’exotisme, celui qui attire par ici le touriste! Bien avant que les rutilants et modernes autocars bondés de Français, de Belges et de Suisses* ne se stationnent devant les Dollorama de la Mauricie ou que leurs passagers en descendent plus loin pour se ruer allègrement sur les sentiers de motoneiges d’icelle, nombreux furent les Américains à envahir nos forêts, soit pour les « régénérer » et nous procurer ainsi des djobbes, soit dans le but d’en acheter des parcelles qu’ils réserveraient à leurs propres loisirs. Réserves de pitounes, réserves de gibier…

Quelques-uns y vinrent toutefois simplement pour contempler les mœurs particulières de l’Homo quebecensis, cet « habitant » célébré à la fin du dix-neuvième siècle par le médecin poète Drummond**. Ce qui fut le cas d’un certain T. Morris Longstreth (1886-1975), de passage dans les Laurentides, qui aboutit un beau jour à La Loutre en passant par La Tuque et Sanmaur.



Pour découvrir le passage de ce fellow traveler en Mauricie, il aura fallu qu’atterrisse, dans ma boîte aux courriels, un message laconique des gens d’Ebay, m’annonçant la mise en vente, sur leur site d’enchères, d’un ouvrage sur la Laurentie, vieillotte prose, proposée par son vendeur à un prix ridicule. Et voilà qu’en consultant la présentation dudit bouquin, paru en 1922, je note qu’il comporte un « canto » consacré à …Sanmaur. Ciel!, un poète aurait célébré la gloire de mon village mythique… Mon compte Paypal salivait déjà et ma carte Visa me chauffait la partie gauche de mon postérieur, bien posé sur mon fauteuil de travail, les yeux ouverts au maximum sur l’écran de mon portable : il me fallait mettre le grappin sur cette chose poussiéreuse à tout prix.

Heureusement pour moi, je fus le seul « enchérisseur », comme ils disent sur Ebay France: j’emportai, haut les menottes, cet exemplaire sauvée d’une bibliothèque pour esprits belliqueux, sans doute ambulante, un livre, pas tellement rare, qui avait fait probablement beaucoup de chemin sans qu’on en ait lu, me semble-t-il, une seule page : la carte de prêt, intacte, au recto de la quatrième de couverture, était demeurée vierge. Les GI des « Headquarters – 4th Corps Area – U.S. Army », où avait été « stationné » [anglicisme de bon aloi dans le présent contexte] le précieux écrit, n’avaient vraisemblablement pas eu le temps de s’intéresser aux Laurentiens!

Le livre, THE LAURENTIANS, ne manque d'intérêt : il traite de plusieurs régions parcourues par son auteur. Il contient même un index, modeste mais utile pour les férus d'histoire régionale. J'en donnerai une meilleure idée plus tard.



Les carnets de Jerry McCarty dans tout cela ? J’y reviendrai très bientôt: le texte de mon vingtième épisode est prêt depuis quinze jours, mais je n’ai pas terminé l’identification des gens montés sur les draisines des photos que je voulais y glisser. Ce sera la matière du prochain épisode.

Celui-ci aura un lien direct avec les propos de l’Américain Longstreth : un certain J. H. Carter, le boss de La Loutre. En ce centième anniversaire de la naissance d’une grande dame, Simone de Beauvoir, j’en profiterai pour commettre un paragraphe socialisto-marxisant impliquant Carter, Américain lui itou!

La liaison, le rapprochement se feront sur le thème du Canuck, pas l’équipe de hockey, ni le paletot d’hiver, l’anorak chic, lors même qu’il y aurait un beau parallèle à tracer entre l’utilisation de ce sobriquet à connotation nettement péjorative et celui d’habitant, car même les anglophones de la naguère métropole canadienne sont toujours persuadés que le « H » doublement encerclé de "C" de l’écusson des Bienheureux Glorieux de la Sainte-Flanelle montréalaise signifie « Habitants ». "Go, Habs, Go", de reprendre les Céeffes de la belle enceinte sportive... J’imagine, comme le chante si admirablement Sylvain Lelièvre, qu’on est toujours l’habitant de quelqu’un, à défaut d’être son Iroquois. Mais j’anticipe…

Et puis, se terrait, dans la relation des voyages de Longstreth, une curieuse graphie, "Montdechingue", bizarroïde transcription, quasi phonétique, oeuvre d'un anglophone qui possédait quelques rudiments de la langue encore en usage dans l'Hexagone, que je voulais tout de même ajouter aux nombreuses autres du toponyme WEMOTACI. À ajouter, donc, au chapitre de mes élucubrations toponymiques, car elle risquerait de sombrer dans l'oubli : WEMOTACI et SHAWINIGAN, même combat lexicographique.

En attendant de revenir au lien routier entre La Loutre et Chaudière puis Sanmaur, voici de quoi avait l'air ce gros camion dont parle fréquemment McCarthy dans ses souvenirs et qui, durant près d’une vingtaine d’années, empruntera le trajet ferroviaire de La Loutre à Chaudière, entreprise parfois périlleuse.



Le vaillant « big truck » de la Brown Corporation, photographié à La Loutre, en 1926.


* Il doit bien s’en trouver quelques-uns de ces ressortissants suisses, à bord de ces beaux véhicules : ceux et celles que j’ai rencontrés dans cette neutre contrée n’avaient point de cesse qu’ils n’obtiennent de moi l’aveu sincère que j’habitais le plusse meilleur pays du monde, car ils avaient constaté par eux-mêmes ses splendeurs… ou alors se montraient-ils d’une extrême politesse à mon égard.


Portrait de Drummond par Coburn.


** DRUMMOND, William Henry. The Habitant and Other French-Canadian Poems. Illustrations de Frederick Simpson Coburn et introduction en français de Louis Fréchette. New York/Londres : G. P. Putnam's Sons, 1900 [c1897]. 137 p. ill.
Que voilà une belle description bibliographique!

Notes – Perspicace lecteur, vous aurez noté l’apparition, dans l’extrait du livre de Longstreth, du patronyme ROY. Il s’agit bien du même Oscar Roy, celui qui accueillit, deux ans plus tôt, Jeremiah McCarthy descendant du mixte. Second lien avec les mémoires de ce dernier : Roy reçoit l'écrivain et les deux dames qui l'accompagnent à leur arrivée à Sanmaur, à deux heures du matin, par le train de nuit du Canadien National, le C.N.R..

Le couple Beauvais, chargé de la gérance du Wayagamack Fish and Game Club, avait reçu l'Américain au lac Wayagamack, objet, lui aussi, d'un "canto".

Le monde est bien petit : j’ai reçu, de mon ami Richard Scarpino, Latuquois passionné d’histoire sportive, le numéro de téléphone de John McCarthy, le plus jeunes des fils du carnetier. J’ai donc retardé un peu la rédaction des dernières pages que je consacrerai à La Loutre : je vais en jaser avec John.

samedi 5 janvier 2008

JEREMIAH McCARTHY à LA LOUTRE

Gravure d’Henri Beaulac (1914-1994) extraite du recueil de Sylvain (pseudonyme d’un médecin trifluvien, Auguste Panneton, 1888-1966), DANS LE BOIS, Trois-Rivières, Les Éditions trifluviennes, 1940.

En dépit de commentaires parfois laconiques, de données souvent vagues ou incomplètes, de larges trous dans la chronologie, les carnets de Jerry McCarthy, qui couvrent près d’un demi-siècle d’activités en Haute-Mauricie, s’avèrent une source riche en renseignements de première main sur les conditions de travail, dans cette région, d’une catégorie de travailleurs qui n’aura guère fait l’objet d’études de la part des historiens et des sociologues, du moins à ma connaissance : celle de gens de métiers les plus divers et de manuels chargés d’assurer l’établissement et l’entretien des installations de compagnies et d’organisations impliquées dans l’exploitation des forêts laurentiennes : la Commission des eaux courantes du Québec, la Shawinigan Water and Power, la St. Maurice Forest Protective Association, mais spécialement la Brown Corporation, sans compter les opérations de la compagnie de chemin de fer du Canadien National.

Les détails fournis par McCarthy illustrent bien les difficiles conditions de travail de ces hommes, obligés à constamment se déplacer, souvent dans des conditions fort difficiles, pour accomplir leurs tâches. C’étaient des gens d’une énergie, d’un sens des responsabilités et d’un dévouement peu communs, des esprits inventifs absolument essentiels à la marche du monde forestier.

Jeremiah McCarthy, en 1934, à La Loutre. Photo gracieusement fournie par Patrick McCarthy.
Ce sont principalement des précisions sur Sanmaur que je cherchais dans ces notes. Bien sûr, j’en aurai déniché quelques-unes, mais j’y ai surtout découvert un être très attachant, une force de la nature. J’ai été surpris de constater que, malgré la rigueur du climat, des conditions de travail, des problèmes de santé qu’il avait pu affronter, jamais, dans ses écrits, cet honnête homme ne s’était de son sort. Il ne manifestera de la colère qu’en une seule occasion, et c’est bien parce que le problème touche sa progéniture. Le jour où ses deux fils manqueront le train – ils devaient retourner à l’école, dans un pensionnat – il impute ce retard à un certain crétin (euphémisme) qui aura négligé de dépêcher un véhicule à La Loutre pour assurer leur transport à la gare de Sanmaur. Une autre fois, il évoquera les conditions de vie des gens des dépôts qui se sont détériorées depuis la vente des actifs de la Brown Corporation à la Canadian International Paper, en novembre 1954. Il ne fut sans doute pas le seul à déplorer cet état de fait, car mon père avait coutume de dire que la C.I.P. ne traitait pas aussi bien « ses hommes » que la Brown!

Muté à la Division forestière, la Woodlands, à La Tuque, en 1958, McCarthy continuera ses périples sur les « limites » pour y vaquer à quelques besognes. Il regrettera la vie dans son village d’adoption. Un soir de Noël, dans sa maison de la rue Saint-Antoine, dans la petite ville de la Moyenne-Mauricie, il se plaint du manque d’atmosphère festive : on est loin, écrit-il, de l’heureuse période des Fêtes célébrée dans le très nordique bled de La Loutre !